L'infection au covid 19 peut-elle être prise en charge au titre d'accident du travail ou de maladie professionnelle ?

Le nombre de contaminations par le COVID 19, dont une part importante est sans doute liée à l’activité professionnelle des victimes conduit à se demander si cette affection peut être prise en charge comme accident du travail ou maladie professionnelle.

La question est particulièrement légitime dans le contexte actuel où, depuis plusieurs semaines de nombreuses personnes sont contaminées journellement par le virus, et parmi elles de nombreux salariés et travailleurs.

Or, la prise en charge par la sécurité sociale au titre de la législation sur les accidents du travail ou maladies professionnelles est beaucoup plus favorable que si ces évènements ont une origine extraprofessionnelle, et il est inutile de revenir sur ce point.

En revanche, la prise en charge au titre de l’un ou l’autre, élément déclencheur de ce régime de faveur est beaucoup plus délicate de sorte que la question mérite que l’on s’y arrête pour tenter d’apporter une ou des réponses.

Elle fait l’objet de discussions aussi bien dans les milieux juridiques que politiques ou médicaux, et on est donc tenté d’apporter sa contribution, si minime soit elle.

Pour bien comprendre le mécanisme des accidents du travail et des maladies professionnelles, il semble utile de partir des deux notions d’accident et de maladie, dont on peut donc rappeler quelques définitions :

L’accident tout d’abord est défini par le dictionnaire Larousse comme « un évènement fortuit qui a des effets plus ou moins dommageables pour les personnes ou pour les choses ».

Wikipedia propose une définition plus complète, qui en fait un « évènement généralement non souhaité, aléatoire et fortuit, qui apparaît ponctuellement dans l’espace et dans le temps à la suite d’une ou plusieurs causes et qui entraîne des dommages vis à vis des personnes, des biens ou de l’environnement ».

Ce qu’il faut retenir de ces définitions plus ou moins complètes, c’est que l’accident est un « évènement », c’est à dire quelque chose de précis et d’identifiable, fortuit et soudain, qui occasionne un dommage.

La maladie, maintenant est beaucoup plus difficile à définir (1) et on peut en rechercher une définition éventuellement littéraire (2) ou plus générale, là encore sur Wikipédia qui y voit «une altération des fonctions ou de la santé d’un  organisme vivant».

Le CNRTL (3) en donne une définition plus complète qui est « l’altération de l’état de santé, se manifestant par un ensemble de signes et de symptômes perceptibles directement ou non, correspondant à des troubles généraux ou localisés, fonctionnels ou lésionnels, dus à des causes internes et comportant une évolution ».  

 Ces définitions conduisent à un constat : Toute situation ayant une cause qui produit des effets, l’accident est la cause ou le fait générateur qui occasionne un dommage en l’espèce à la personne alors que la maladie est l’effet qui résulte d’une cause ou d’un fait générateur que l’on connaît quelquefois plus ou moins bien.

Venons en maintenant à l’accident du travail et à la maladie professionnelle.

L’article L 411-1 CSS définit l’accident du travail en indiquant qu’« est considéré comme accident du travail quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour  un ou plusieurs chefs d’entreprise» et l’article L 411-2 assimile à certaines conditions  à celui-ci, l’accident de trajet survenu entre le domicile et le lieu de travail.

De son côté, l’article L 461-1 al 5 CSS précise qu’« est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractées dans les conditions précisées à ce tableau». A défaut, l’article L 461-1 al7 précise que peut être reconnue d’origine professionnelle, une maladie caractérisée, non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L 434-2 et au moins  égal à un pourcentage déterminé».

A priori, cette dernière hypothèse paraît peu utilisable dans le cas d’une infection par le COVID 19 dont en l’état, on sait qu’il peut occasionner rarement heureusement, la mort, mais qu’en revanche, il ne semble pas laisser subsister d’incapacité permanente.

Au vu des définitions qui précédent, on voit d’abord que si le régime de prise en charge et d’indemnisation est identique pour l’accident du travail ou la maladie professionnelle, au contraire, l’élément déclencheur de cette prise en charge est radicalement différent .

Dans l’accident du travail, c’est la conséquence physique de l’accident  (l’effet) quelle qu’elle soit, qui est prise en charge, et non l’accident lui-même, (la cause) qui n’est que l’élément déclencheur de cette prise en charge. Dans la maladie professionnelle au contraire, ce qui est pris en charge c’est la maladie elle-même c’est à dire l’effet, d’une cause qui a priori importe peu juridiquement.

Certes, accident du travail et maladie professionnelle ont en commun d’avoir un lien avec l’activité professionnelle du salarié qui en est la cause ou l’occasion. Mais, la difficulté est  d’établir ce lien avec l’activité professionnelle .

Il n’y a pas d’accident du travail par nature, en ce sens que n’importe quel dommage corporel, lésion, blessure, fracture ou autre ou pire, décès, peut constituer un accident du travail, et résulter de n’importe quelle circonstance, choc, coupure, chute…  dès lors qu’il a pour cause ou pour occasion le travail.

C’est la raison pour laquelle la réglementation a pris comme élément de rattachement avec celui-ci, un critère circonstanciel de temps et de lieu : le temps et le lieu de travail, circonstances que la jurisprudence a longuement développés pour délimiter un périmètre des accidents du travail.

En revanche s’agissant de la maladie professionnelle, si la cause n’est pas en principe prise en compte, sous réserve ce  qui a été dit à propos de l’article L 461-1 al 7 CSS, c’est en raison de l’impossibilité ou au moins de la difficulté pratique en général, d’établir un lien de cause à effet entre le travail et la maladie du salarié, qui a conduit le législateur à utiliser un autre moyen ( 4) :  

A défaut de pouvoir déterminer un critère de rattachement de la maladie au travail, le législateur à opté pour la détermination d’une liste, sous forme de tableaux des maladies déclarées professionnelles et qui seront donc reconnues comme telles lorsque les conditions, notamment d’exposition au risque seront remplies.

Ceci étant rappelé, l’infection par le COVID 19 peut-elle être prise en charge au titre de l’un ou de l’autre ?

La prise en charge au titre des maladies professionnelles est la première à envisager d’abord parce que c’est celle qui donne actuellement lieu à l’essentiel des discussions.

On ne peut donc que constater qu’à ce jour, pour des raisons évidentes vu la nouveauté de la maladie, elle ne figure évidemment pas dans les tableaux des maladies professionnelles, et de ce fait, sa prise en charge à ce titre n’apparaît pas possible.

Mais, la détermination des tableaux de maladies professionnelles incombant au législateur, rien n‘interdit à celui-ci de l’ajouter à la liste des maladies professionnelles.

Le 21 AVRIL, le ministre de la santé a indiqué que la reconnaissance de maladie professionnelle serait automatique (5), pour tous les soignants, qu’ils travaillent en hopital, en  EHPAD, ou en ville et ce aussi bien pour les salariés que pour les praticiens libéraux.

Cette décision qui n‘est pas juridique mais politique répond, comme le ministre l’a indiqué lui-même à une «commande politique.»

Cette décision apparaît totalement justifiée pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, les soignants ont fait la preuve depuis le début de l’épidémie de leur dévouement malgré les risque encourus et il s’agit donc ici d’une légitime reconnaissance de leur engagement.  

Ensuite, statistiquement, ils sont évidemment les travailleurs les plus exposés au virus de sorte que leur contamination éventuelle a toutes les chances d’être liée à leurs conditions de travail et l’automaticité de la reconnaissance comme maladie professionnelle ne fait que faciliter la prise en compte dans l’immense majorité des cas d’une situation correspondant à la réalité.

Ajoutons que la même reconnaissance a été demandée pour d’autres salariés, par exemple, par le ministre de l’intérieur pour les forces de police ou par l’académie de médecine, pour ceux qui travaillent pour le fonctionnement indispensable du pays.

Mais en l’état, le ministre de la santé  a précisé que pour les salariés autres que les personnels soignants, ils devront se soumettre au régime de droit commun, c’est à dire celui prévu par l’article L 461-1 al 7 CSS,  de la reconnaissance par la preuve  de l’imputabilité au travail habituel et «faire la preuve que leur contamination est due à la profession exercée et aux contacts rapprochés effectués dans le cadre de celle-ci». (5).

Etendre la reconnaissance automatique de l’infection par le COVID 19 comme maladie professionnelle posera le cas échéant une autre question : Quelles en seront les limites ?

En période de confinement, on comprend très bien les recommandations de l’académie de Médecine pour les salariés travaillant pour le fonctionnement indispensable du pays, parce qu’ils sont, au moins en théorie, les seuls à travailler et à être exposés ainsi ; mais après, lorsque l’activité aura reprise ? Faudra t’il faire des distinctions entre ceux travaillant au contact du public et les autres ? Et que penser du risque de contamination par les collègues de travail, ou encore par le fait de toucher dans le travail un objet infecté ?

On se gardera bien de proposer une réponse à cette question.

Dans le principe, selon l’Institut National de Recherche et de Sécurité Pour la Prévention des Accidents du Travail, une maladie est considérée « comme professionnelle si elle est la conséquence directe de l’exposition plus ou moins prolongée d’un travailleur à un risque physique chimique ou biologique ou résulte des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle ».

La maladie à la différence de l’accident se développe en principe de façon progressive.

Le burn-out par exemple, qui entre le plus souvent dans le cadre de cette définition, n’a pas fait à ce jour l’objet d’une reconnaissance par inscription au tableau des maladies professionnelles, mais il peut néanmoins être pris en charge, d’abord en application de l’article L 461-1 al 7 CSS, voire le cas échéant au titre des accidents du travail.

Ce dernier mécanisme a été qualifié de « tricherie avec la complicité des avocats des juges et des médecins », par le député de la France Insoumise François RUFFIN qui demandait en vain, la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle (6) .

Cette appréciation s’appuie sans doute sur le fait que le burn-out, qui est généralement le fruit d’une évolution lente s’apparente donc d’avantage à une maladie qu’à un accident.  (7)

Il peut pourtant constituer un véritable accident, par exemple, en cas de suicide du au burn-out sur le lieu et pendant le temps de travail, car il en remplit alors bien les conditions ( 8).

De même par exemple encore, la contamination par le sida, qui est par nature une maladie, a pu donner lieu à la prise en charge comme accident du travail selon des modalités particulières, lorsqu’elle est la conséquence d’un fait accidentel précis comme une piqure  accidentelle ou une projection de sang infecté.

L’explication tient au fait que dans ces situations, on trouve un évènement précis constituant l’accident, qualifié « du travail  », dès lors qu’il est survenu pendant ou à l’occasion de celui-ci.

Or, s’agissant du COVID 19, selon les données médicales actuelles, et en tout cas, les geste barrières recommandés, il semble admis   que la contamination peut résulter d’un  fait unique, qu’il s’agisse d’un contact avec une personne positive au COVID 19 ou avec un objet infecté et qu’elle est donc soudaine, même si ses symptômes n’apparaissent que plus tard.

Si le COVID 19 est une maladie, en revanche la contamination qui peut donc résulter d’un fait unique, précis et identifiable au moins en théorie présente les caractéristiques suffisantes pour être qualifié d’accident du travail, qui pourra être pris en charge à ce titre, dés lors que la preuve de la contamination dans le travail sera établie.

Mais c’est là que surgit la difficulté pratique, puisque si l’accident survenu pendant le travail est présumé lié à celui-ci, en revanche, le salarié doit alléguer et le cas échéant faire la preuve que la contamination a eu lieu pendant le travail .

Si l’employeur accepte cette déclaration, il ne devrait pas y avoir de difficultés au niveau de la prise  en charge. Si au contraire comme ce sera sans doute le plus souvent le cas, il formule des réserves ou conteste les circonstances de la contamination, alors le salarié devra essayer de faire une preuve, difficile pour plusieurs raisons.

D’abord, si la contamination est instantanée, en revanche ses symptômes n’apparaissent qu’au bout d’une dizaine de jours, de sorte que le salarié lui-même pourra avoir des difficultés à identifier les circonstances de cette contamination.

Ensuite et en tout état de cause il aura des difficultés à la prouver puisqu’elle peut résulter soit d’un contact simplement a proximité d’une personne infectée, soit du toucher d’un objet infecté, alors que la preuve de ces faits est évidemment difficile à faire (9), étant rappelé par ailleurs que cette contamination peut aussi parfaitement avoir eu lieu à l’extérieur et être étrangère au travail.

Il faut cependant ajouter que la contamination par le COVID 19 étant ce que l’on appelle, un fait juridique, on peut en faire la preuve par tous moyens qu’il s’agisse notamment de témoignages ou de présomptions, de manière à convaincre le cas échéant sinon de la preuve certaine de la contamination dans le travail, en tout cas de la probabilité de celle-ci, le juge pouvant à cet égard  librement s’estimer convaincu par les éléments produits.

Le salarié augmentera d’ailleurs ces chances de le convaincre s’il fait la preuve que les mesures de sécurité imposées, gestes barrières ou autres n’ont pas été respectées.

Il en résulte par ailleurs, que ce faisant, il fera sans doute également et en même temps, la preuve d’une faute inexcusable de l’employeur, résultant du fait qu’informé évidemment des risques que celui-ci connaissait donc ou devait connaître, il n’a pas pris les mesures adaptées pour les éviter.

Il reste bien sur que s’il est aujourd’hui suffisant que la faute inexcusable soit nécessaire à la survenance de l’accident, il faut également que les circonstances précises de celui ci soient établies, à défaut de quoi, si ces circonstances ne sont pas établies, la faute inexcusable ne pourra pas être retenue. (10) .

On le voit, en l’état actuel, sauf pour le personnel soignant, la prise en charge de l’infection par le COVID 19 au titre des maladies professionnelles ou des accidents du travail est possible, mais loin d’être acquise en fait.

Il faudra attendre soit d’autres décisions gouvernementales au titre de la maladie professionnelles, soit de voir comment les juges accueilleront les demandes de reconnaissance d’accident du travail pour apprécier les possibilités de prise en charge par cette législation protectrice.



Alain HERVIEU

spécialiste en Droit du travail

Cabinet AHF. AVOCATS

email:alain.hervieu@ahf-avocats.fr

site internet : https//www.ahf-avocats.fr/




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1) Selon Cl BERNARD ( principes médicaux expliqués 1878 p270) la définition de la maladie a épuisé les définisseurs.

2) BERNANOS. (M.OUINE 1943 ; p1438) le mot maladie n’évoque que « l’image précise et simple d’une épreuve naturelle dont le temps vient toujours à bout d’une manière ou d’une autre, par la mort, la guérison ou l’oubli ».

3) Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

4) Les juristes savent que pour déterminer le contenu d’une catégorie juridique, en l’espèce, accident du travail ou maladie professionnelle, on peut soit recourir à un critère, soit à défaut de critère, définir dans une liste, le contenu de la catégorie considérée.

5) A ce stade, le ministre n’a pas précisé dans quel cadre juridique ce ferait cette reconnaissance automatique.

6) Faire passer un burn-out pour un accident du travail c’est de la triche. L’express Entreprise 21 MARS 2018.

7) Ainsi, une maladie contractée à l’occasion du travail n’est pas un accident ( CASS AP 21 03 2019), de même, les lésions apparues à la suite de la répétition  d’un geste ( CASS SOC 26 06 1980) ou d’une exposition durable au froid (CASS SOC 28 10 2005).

Cf aussi le rapport de M.  TREDEZ conseiller rapporteur sur CASS AP 24 JUIN 2005, qui fait de la soudaineté de l’évènement, le critère de l’accident, le distinguant de la maladie caractérisée par une évolution lente et progressive. Www.courdecassation .fr 

8) CASS SOC 20 04 1988 ; CASS SOC 24 01 2019.

9) A condition d’identifier immédiatement l’accident entraînant un risque de contamination, on pourrait songer à la mise en place pour le rattachement éventuel de l’infection aux conditions de travail, à un suivi analogue à celui mis en place pour les risques de contamination par le VIH par l’arrêté du 1er AOUT 2007. Accident du travail et risque de contamination par le virus du sida MH GIORGIO 21 SEPTEMBRE 2011.

10) CASS SOC 13 09 2012 ; CaSS AP 04 04 2013.

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