La faute inexcusable de l’employeur

La faute inexcusable est l’une des nombreuses variétés de fautes que connaît et utilise le droit français.

Elle est mentionnée principalement par l’article L 452.1 du Code de la sécurité sociale, qui prévoit que « lorsque l’accident du travail est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction , la victime ou ses ayant droits, ont droit à une indemnisation complémentaire…. ».

En effet, depuis la loi de 1898 fondée sur l’idée d’un risque d’accidents créé par l’entreprise, a été mis en place, pour l’indemnisation des victimes d’accidents du travail puis en 1919, de maladies professionnelles, un régime d’indemnisation automatique des victimes n’impliquant pas la nécessité d’une faute de l’employeur. La contrepartie de cette automaticité a été le caractère forfaitaire et tarifé de l’indemnisation ne couvrant généralement pas l’intégralité du préjudice réellement subi par la victime. La loi de 1898 a parallèlement créé la notion de faute inexcusable de l’employeur, qui permet, en rétablissant l’accident ou la maladie dans le régime ordinaire de la responsabilité, d’accorder à la victime, la réparation intégrale et non plus forfaitaire de son préjudice.

Cette faute inexcusable peut trouver à s’appliquer aussi bien en matière d’accident du travail que de maladie professionnelle mais pas en matière d’accidents de trajet, et à la condition que cette faute soit en relation avec le dommage subi par le salarié, c’est-à-dire qu’elle en constitue une condition nécessaire, sans qu’il soit nécessaire qu’elle soit la cause déterminante ou exclusive. ( Cass Ass Plein 24 JUIN 2005), et même si la victime a participé à la réalisation de son propre dommage, en commettant elle-même une faute ou une imprudence.

En revanche, la faute inexcusable ne peut être retenue si les circonstances précises de l’accident sont indéterminées.

La loi n’ayant jamais défini la faute inexcusable, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu de préciser et définir cette notion.

Elle l’a fait en premier lieu dans un arrêt VILLA du 15 JUILLET 1941 qui précisait que «  la faute inexcusable doit s’entendre d’une faute d’une gravité exceptionnelle, dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative, et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel, de la faute intentionnelle ».

La Cour de cassation a fait évoluer cette définition, en considérant que l’employeur étant tenu d’une obligation de sécurité envers ses salariés considérée comme une obligation de résultat, tout manquement à cette obligation, notamment révélé par un accident du travail ou une maladie professionnelle a le caractère d’une faute inexcusable si l’employeur avait conscience ou aurait dû, en raison de son expérience ou ses connaissances, avoir conscience du danger encouru par les salariés  et qu’il n’a pas pris les dispositions pour les en préserver. (notam CASS Soc 28 FEVRIER 2002 et Cass Ass Plein 24 JUIN 2005).

On peut dire en résumé que la faute inexcusable de l’employeur est le fait d’avoir exposé ses salariés consciemment à un risque qui s’est réalisé puisque l’accident s’est produit alors qu’il aurait pu prendre les mesures adéquates pour éviter ce risque.

L’appréciation de la conscience du danger relève des circonstances de fait, notamment de la nature de l’activité du salarié ou du non respect des règlements de sécurité. (CA VERSAILLES 11 JANVIER 2018 ).

Il est évident que les circonstances de fait concernées varient énormément selon l’activité de l’entreprise et le travail du salarié, les risques d’accident physiques étant moins importants pour un salarié qui occupe un emploi de bureau que pour un ouvrier travaillant sur des chantiers ou sur des machines industrielles. Pour autant il n’est pas exclu, dans la mesure où tout salarié peut se trouver dans une situation, même sans parler de harcèlement,  qui génère un stress, une fatigue excessive résultant d’une surcharge anormale de travail ou une inadaptation de ses conditions ou de son poste de travail pouvant dégénérer en accident du travail ou maladie professionnelle, voire entraîner un burn-out. Ces situations de risques psychosociaux, peuvent amener la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur.

Face à ces situations, la jurisprudence a fait évoluer l’obligation de sécurité de l’employeur, qualifiée d’abord jusqu’en 2015 d’obligation de résultat, et n’autorisant donc pas l’employeur à s’exonérer de sa responsabilité.  Puis la Cour de Cassation a jugé dans un arrêt du 17 OCTOBRE 2018, que ce n’est que si l’employeur, informé de la situation ( ou en ayant conscience ?) n’a pas pris les mesures concrètes propres à y remédier, qu’il manque à son obligation de sécurité. Cette évolution a conduit à dire que l’obligation de sécurité serait devenue une obligation de moyen, ou une obligation de résultat allégée.

Cette évolution a été confirmée par un arrêt d’assemblée plénière du 5 AVRIL 2019, qui dans une affaire relative à l’amiante, pose comme principe que «  ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés », et en conséquence casse l’arrêt de cour d’appel qui avait refusé « d’examiner les éléments de preuve des mesures que la société prétendait avoir mises en œuvre ». ( Cass Ass Plein 5 AVRIL 2019).

La reconnaissance de la faute inexcusable intervient à l’initiative de la victime. A sa demande, la CPAM engage à l’égard de l’employeur responsable, une procédure de conciliation en vue d’aboutir si possible à un accord sur la reconnaissance de la faute inexcusable et le montant des indemnités complémentaires en résultant. 

Au terme de cette procédure est dressé par la CPAM, selon les cas un procès-verbal d’accord ou en cas de refus ou de silence de l’employeur, de non conciliation ou de carence.

En l’absence d’accord, il incombe à la victime de saisir le tribunal d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. 

C’est à la victime qu’il appartient de faire la preuve de la conscience du danger par l’employeur (SOC 22 MARS 2005). En revanche, depuis 2017, c’est à l’employeur qu’il appartient de démontrer que les mesures appropriées ont été prises, pour s’exonérer de sa responsabilité. 

Cette procédure doit être engagée dans le délai de deux ans selon l’article 431.2 C SEC SOC  qui court notamment selon les cas, à partir soit du rejet de la demande de conciliation, soit de la consolidation de l’état de santé de la victime soit de l’arrêt du versement des indemnités journalières. 

Le tribunal compétent pour cette procédure était le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, juridiction d’exception qui a été supprimée par la loi du 18 NOVEMBRE 2016, pour la modernisation de la justice au XXIe siècle. 

Depuis le 1er Janvier 2019, ces procédures sont donc soumises au Pôle Social du Tribunal de Grande Instance territorialement compétent, étant précisé que ce transfert de compétence ne s’est pas accompagné d’autres changements importants, puisque notamment, la procédure reste orale, le ministère d’avocat n’est pas obligatoire (même s’il est incontestablement recommandé) et le Pôle Social reste une juridiction recourant à l’échevinage, c’est-à-dire en l’espèce, un juge professionnel et deux assesseurs, un employeur et un salarié.

Si la procédure aboutit à reconnaître la faute inexcusable de l’employeur, la victime est en droit de demander et d’obtenir la réparation intégrale du préjudice occasionné par les souffrances physiques et morales qu’elle a endurées du fait de l’accident, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses  possibilités de promotion professionnelle et une majoration de la rente éventuelle d’invalidité qui lui a été accordée, ainsi que de façon générale l’indemnisation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale, tels par exemple, les frais d’aménagement d’un logement ou d’un véhicule.

En outre, au niveau du contrat de travail, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur traduisant une violation de l’obligation de sécurité justifie nécessairement que la rupture éventuelle du contrat de travail, même à la suite d’une décision d’inaptitude, soit qualifiée de licenciement sans motif réel et sérieux, la réparation du préjudice résultant de cette rupture relève alors de la compétence du Conseil de Prudhommes. ( SOC 3 MAI 2018).

Enfin, il est possible de s’assurer aujourd’hui contre les conséquences financières de sa faute inexcusable, et cette couverture est souvent prévue dans les assurances RC exploitation.

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